Semaine du 6 au 11 juin 1988.

Lundi 6 juin.
Journée difficile.
Je n’avais pas le désir profond d’aller en Math et c’est avec bien peu d’entrain et plus de résignation que je décidai de m’y rendre.
Vers midi, accompagnant E. au 6ème étage, je rencontrai M.N., professeur de déchiffrage, qui s’est gentiment enquis de mes études “pianistiques”. Il a dit à propos de l’Intermezzo opus 118 de Brahms: “c’est un amour malheureux”. J’ai échangé un clin d’oeil complice avec E.
(.....)
En rentrant vers 3 heures, je me suis mis au piano, inquiet de la progression de mes morceaux de bac. Je crains qu’ils ne soient prêts à temps.
Dans la soirée, j’ai repensé aux paroles de cet après-midi, m’efforçant de donner au morceau son caractère “accompli”. Je ne résistai pas. Les larmes me montèrent aux yeux. Je perdais tout contrôle de moi-même, la souffrance exprimée n’était pas mienne, elle était plus large encore que tout ce que j’aurais pu ressentir même sous le poids d’un choc affectif.

Mardi 7 juin.
Journée assez chargée en sentiments.
(.....)
J’ai eu cours de piano ce matin vers 12 heures. Aucun trou de mémoire dans l’Intermezzo de Brahms. Ce morceau me déroute par la multiplicité des interprétations, je n’en trouve aucune de satisfaisante, le dissèque inlassablement, il garde son mystère de cohésion.
Après manger, j’ai attendu E. qui avait son cours de piano. Nous sommes ensuite allés au square des poètes. J’aime bien ce square, on y trouve à chaque coin de pelouse une plaque commémorative avec une courte strophe, parfois une phrase de chaque poète. J’arrêtais E. devant celles qui me plaisaient le plus, les lui désignais d’un regard. Je lui ai même fait la remarque: “Ce serait si amusant si à chaque endroit du jardin s’inscrivaient sur ces plaques nos pensées. Nous n’échangerions nos paroles que de cette façon, en cheminant lentement et en se tenant... sérénissimement...(ce n’est pas d’Alfred de Vigny, c’est d’un romantique attardé dont je ne me souviens plus le nom)... la main”. Nous nous sommes assis sur un banc (que j’affectionne plus que les autres). Je lui proposai alors de lire mon journal.
(.....)

Mercredi 8 juin.
Journée scolastiquement chargée.
Doigts véloces au piano.Il semblerait que mes volontés se concrétisent.
(.....)
Bonnes indications au cours de piano avec Florence sur l’Intermezzo de Brahms. Dieu, quelle pensée et intelligence musicales! Rentré chez moi vers 9h30, déterminé et dans un rythme de travail cyclique.
(.....)

Jeudi 9 juin.
Journée large en tout.
Au cours de déchiffrage, j’emmène E. au square des poètes, il fait chaud.
Au fait, S..?.. est mort! Il s’est disloqué, inanimé de tout son passé, sur le sol, sans un bruit. Son Sabre luit encore.

Vendredi 10 juin.
Journée fatigante.
Pas de cours de philo. Je trouve un piano, je travaille. Cours de musique, dictée.
Je retravaille. P. et N. m’enferment dans la salle 302 et descendent au sous-sol du lycée, je travaille, tranquille (Brahms Ohana).
Je déjeune avec E. Nous allons au Bois de Boulogne.
(.....)
Nous retournons au lycée, elle a cours de français, je l’attends, gribouille du romantisme assez rigolo sur le plan harmonique sonore, je cherche simplement mon oreille. Je lui ferai cadeau de cette belle /lyrique/ production ( médiocre ?).
Je ris dans ses bras (“de la musique à faire craquer les jeunes filles en fleurs”!)

Samedi 11 juin.
Mise en loge le matin.
Je rentre chez moi. Piano. Je m’efforce de penser chaque note ou groupes de notes comme s’ils venaient d’être écrits, joués. Résultats.
(.....)
Je fais des découvertes intéressantes sur le plan de l’oreille mais il va falloir travailler avec souplesse et “bûcher”. Je veux acquérir toute la volonté dont j’ai besoin pour obtenir, désirer ce que je veux.

Extraits du “Journal de bord 1988”..